Portrait d'un trou noir

Un des sujets les plus captivants et les plus spectaculaires de la science moderne est sans aucun doute celui des trous noirs et de leur "environnement". Les gens sont intrigués, mystifiés et veulent savoir s'ils existent vraiment.

Ces bêtes naissent d’une prédiction issue de la relativité générale d’Albert Einstein, mais avaient tout de même été imaginées dès le XVIIIème siècle par John Mitchell et Pierre-Simon de LaPlace comme explications à certains concepts astrophysiques qui suggéraient un champ de gravitation intense. Aujourd’hui, ces preuves indirectes de plus en plus "béton", et surtout suite à la détection directe des ondes gravitationnelles par la mission LIGO en février 2016, l’existence des trous noirs ne fait plus de doute. Depuis 2006, on considère 4 types de trous noirs selon leur masse: les trous noirs stellaires, les super-massifs, les intermédiaires et les primordiaux.

Dans cet article, je vous propose un portrait typique de ces monstres cosmiques suivant l’état actuel des connaissances. Nous allons aussi faire un voyage hypothétique au centre de la bête. Mais voyons d'abord un résumé de l'historique de ces phénomènes captivants.

SCHWARZCHILD

En 1915, en pleine guerre, un Allemand du nom de Karl Schwarzchild, trouva une solution exacte aux équations de la relativité générale d'Einstein, décrivant le champ gravitationnel d'une masse sphérique dans le vide, solution qui porte aussi le nom de "métrique de Schwarzchild". Cette métrique peut s'appliquer au Soleil et à son cortège planétaire et peut tout aussi bien décrire des effets subtiles comme la précession du périhélie de Mercure, que la théorie de Newton était incapable d'expliquer, et la déviation de la lumière d'une étoile aux abords d'une masse comme le Soleil. Donc, dans l'espace-temps de Schwarzchild, les planètes, la lumière d'une étoile, tout ce qui "gravite" suit simplement des trajectoires qu'on appelle géodésiques. Ces trajectoires nous paraissent circulaires parce que l'espace-temps est courbé par la masse et l'énergie. Le mouvement circulaire des planètes autour du Soleil n'est qu'une "illusion". Elles se déplacent plutôt en ligne droite – une géodésique, selon un principe de "moindre effort" – dans un espace-temps courbé par la masse et l'énergie du Soleil.

La solution de Schwarzchild a aussi une application universelle. Elle est indépendante de la nature de l'astre qui l'engendre. Elle ne dépend que de sa masse. C'est là que débute l’aventure. Prenons l'exemple du Soleil. Imaginons qu'une force comme l'implosion gravitationnelle comprime notre étoile. Sa masse serait confinée dans une sphère de plus en plus petite, à mesure que la compression s'effectuerait; sa densité augmenterait ainsi que son champ de gravitation. Il en va ainsi de la courbure locale de l'espace-temps qui s'accentuerait. Sa vitesse de libération augmenterait aussi. Présentement, elle est d'environ 600 km/sec. Mais si notre étoile était réduite à environ la moitié de sa taille actuelle, la vitesse de libération atteindrait des milliers de km/sec. Comprimons maintenant le Soleil jusqu'à ce qu'il ait un rayon de trois kilomètres. Ce rayon porte le nom de "rayon de Schwarzchild" pour le Soleil. La courbure de l'espace-temps atteint maintenant une valeur infinie (une singularité gravitationnelle) au centre de notre étoile. Sa vitesse de libération est maintenant de... 300 000 km/sec... la vitesse de la lumière.

Je rappelle que, selon la théorie de la relativité, rien ne peut voyager plus vite que la lumière. Ainsi, si le Soleil voyait son rayon comprimé jusqu’au rayon de Schwarzchild, sa vitesse de libération serait de 300 000 km/s et, en principe, il serait devenu trou noir. Rien, sauf la gravitation, ne pourrait plus s'en échapper. Par contre, les planètes continueraient d'orbiter autour de lui sans y être "aspirées", pourvu qu'il conserve sa masse. Ce n'est qu'en s'en approchant que l'on ressentirait l'immense effet de marée occasionné par la courbure spatio-temporelle.

LE NOIR ET LE DENSE

En 1939, Robert Openheimer établit que le scénario de la formation du trou noir "stellaire" est inscrit dans le destin d'une étoile massive lors de son effondrement gravitationnel. En effet, les réactions nucléaires au centre de l'étoile étant "éteintes", la pression thermodynamique ne vient alors plus compenser "l'étau" gravitationnel qui se resserre de plus en plus jusqu'à un point singulier nommé singularité. C'est là que certaines valeurs comme la courbure de l'espace-temps deviennent infinies. Si on trace une sphère imaginaire à partir du rayon de Schwarzchild autour de la singularité, on obtient une sorte d'horizon nommé "horizon des événements" qui est, comme son nom le suggère, la limite "physique" du trou, d'où il nous est impossible d'y voir ou d'en recevoir quoi que ce soit. C'est une sorte de cocon tissé par les trajets de la lumière "emprisonnée". Aussi, le trou noir ne peut qu'augmenter son aire de surface en "avalant" ce qui se trouve autour de lui. De taille stellaire de quelques masses solaires, il peut devenir un supermassif (comme celui qui est soupçonné dans le noyau de la galaxie M87), pourvu qu'il ait assez de matière à "bouffer". Contrairement à la croyance populaire, le trou noir n'est pas toujours quelque chose de très dense. Si notre trou noir d'une masse solaire requiert une densité "astronomique", un trou noir comme celui du centre de la galaxie d'Andromède serait seulement 200 fois plus dense que la Terre, et celui de M87, plus de 10 000 fois moins dense que l'eau. On pourrait voyager à l'intérieur pendant plusieurs heures sans être déchiquetés par l'effet de marée, mais rien ne nous empêcherait par contre de nous diriger vers la singularité une fois l'horizon franchi.

L'ESPACE ET LE TEMPS

Une fois l’horizon des événements franchi, les phénomènes prévus par la théorie dépassent l’entendement. Certaines des notions qui suivent sont pour le moins délirantes, mais sont tout de même issues des mathématiques associées. En effet, au fur et à mesure que l'on approche du trou, notre temps propre se "dilate". Notre unité de temps augmente. Cela est un principe de base de la relativité nommé : "décalage gravitationnel des fréquences". Si nous plongions vers le trou noir et qu'une personne demeurait à l'extérieur du trou (et assez loin) pour nous observer, elle nous verrait "ralentir" en approchant de plus en plus de l'horizon, jusqu'au moment où elle verrait une image de nous, "gelée" dans le temps. Mais pour nous, qui nous dirigeons vers le trou, nous verrions cette personne vieillir à vue d'œil et l'écoulement du temps extérieur se ferait de plus en plus vite par rapport au nôtre, à mesure que nous approcherions de l'horizon. On ne ressentirait absolument rien du changement. Pour nous, notre temps propre s'écoulerait normalement. Ce n'est qu'en regardant le monde extérieur que nous verrions un changement. Ces phénomènes sont illustrés dans le film "Interstellaire" de Christopher Nolan paru en 2014.

L'horizon des événements marque aussi la limite "statique" du trou. Dans notre monde extérieur, nous pouvons nous déplacer dans l'espace dans n’importe quelle direction. On peut aller à droite, à gauche, en avant, en arrière; rien ne nous en empêche. Mais le temps ne s'écoule que vers l'avenir. Il n'y a qu'une seule direction possible dans le temps. Le temps est la coordonnée directrice de notre espace-temps à nous. Impossible d'éviter la prochaine minute. Mais une fois traversée la limite statique, les coordonnées d'espace et de temps interchangent et c'est la coordonnée d'espace qui devient directrice. Cela s'appelle une singularité du genre espace. Cela est imposé parce qu'on ne peut avoir une position fixe à l'intérieur du trou. Maintenant, la singularité est inévitable. Essayer de s'en échapper, c'est comme essayer d'éviter la prochaine minute.

LE NOIR ET LE BLANC

Si on inverse la flèche du temps dans les équations de la relativité générale, on obtient un objet tout aussi fantastique que le trou noir: le trou blanc. Le trou blanc est l'inverse temporel des trous noirs. Rien ne peut sortir du trou noir; rien ne peut entrer dans le trou blanc. Le trou noir "aspire"; le trou blanc "expire". Certains cosmologistes pensent que le Big Bang est issu d’un trou blanc. Certains scientifiques ont aussi suggéré que l'on puisse entrer par le trou noir, emprunter ce qui s'appelle une gorge de Schwarzchild ou un trou de ver, et ressortir "ailleurs" dans un autre Univers ou dans le nôtre. Avouons cependant que ces trous blancs pourraient ne devoir leur existence qu’à une application naïve et hautement spéculative de la relativité générale. Mais est-ce que ce voyage serait possible? Hummm! Voyons voir...

LE VOYAGE

Dans les années 70, le mathématicien Roger Penrose a démontré que, dans le trou noir de Schwarzchild, le passage vers le trou de ver est bloqué par la singularité centrale. Donc, oublions cela, car nous serions écrabouillés. Cependant, il y a peut-être une alternative, car il est très peu probable que les trous noirs soient ceux décrits par Schwarzchild, ceux-ci
sont sphériques et ne tournent pas. Or, les étoiles tournent bel et bien sur elles-mêmes et en plus, elles ne sont pas complètement sphériques. Comme la Terre, elles sont aplaties aux pôles. En 1962, Roy Kerr a trouvé une solution exacte aux équations de champs d'Einstein décrivant un trou noir en rotation. On les appelle "trous noirs de Kerr". Le trou de Kerr est bien différent de celui de Schwarzchild. Premièrement, il comporte non pas un, mais trois horizons. Un horizon externe, qui est la limite statique, un médian, qui est l'horizon des événements externes et un autre horizon des événements internes entourant la singularité. Cette singularité centrale n'a pas la forme d'un point comme dans le trou de Schwarzchild, mais plutôt celle d'un anneau.

Voici ce qui se passe, toujours selon Penrose, dans un trou de Kerr: ne fois la limite statique franchie, le temps se dilate. Une fois l'horizon des événements externes franchi, les coordonnées d'espace et de temps interchangent comme mentionné plus haut. Et une fois l'horizon des événements internes franchi, les coordonnées d'espace et de temps redeviennent comme à l'extérieur et la singularité est du genre temps. On peut alors naviguer aisément et même passer à travers la singularité pour se retrouver "ailleurs". Mais il faut prendre garde de ne pas la traverser par la tranche, sinon l’on serait englouti dans la singularité, tout comme dans la solution de Schwarzchild... Donc, selon Penrose, dans le trou de Kerr, on pourrait emprunter un trou de ver et ressortir par un trou blanc, vers "l'ailleurs".

Imaginons alors que nous possédions une technologie qui nous permettrait de propulser un vaisseau, avec une accélération constante et égale à celle de l'accélération gravitationnelle de la Terre, de 1 g. Ce serait très confortable pour le voyageur. Il s'approcherait alors graduellement de la vitesse de la lumière sans jamais l'atteindre. En plus, il bénéficierait de la dilatation du temps. À mi-chemin, il n'aurait qu'à décélérer au même rythme. On choisit sa destination, par exemple le trou noir de M87, situé à 50 millions d'années-lumière de la Terre et ayant une masse de 10 milliards de masses solaires, mais qui est peu dense, ce qui réduit le risque des effets de marées. Selon un petit calcul assez simple, il parviendrait à destination dans environ 34 ans de son temps propre. Par contre, il ne pourrait changer d'idée au bout du voyage, car plus de 80 millions d'années se seraient écoulées sur Terre. Comment alors pourrait-il nous faire partager son expérience? Parce que le trou de Kerr permet de franchir une distance "temporelle". Le trou de Kerr nous permet de bouger sur l'axe du temps autant que sur celui de l'espace (pourvu qu'on ne dépasse pas la vitesse de la lumière). Mais le retour est très aléatoire. Notre voyageur pourrait revenir par un trou de ver, mais se retrouver sur Sirius, ou encore sur Antarès. Rien, dans la théorie, n'indique ou ne renseigne sur l'issue du retour. Mais comme notre héros est très chanceux, il reviendrait au même endroit sur Terre, à environ une seconde après son départ. Il nous affirmerait être parti pendant 34 ans, mais pour nous, il serait parti depuis une seconde. Nous aurions bien du mal à le croire. Mais ses horloges, ainsi que ses rides ne mentiraient pas. Cela ne vous rappelle-t-il pas certains films comme "Contact" ou "Interstellaire"?!

Par Mario Lessard, 2001

Révision et actualisation: 2016

Suggestions de lectures pour un public "primordial, stellaire et intermédiaire":

GREENSTEIN, Georges. Le destin des étoiles, 1987.

HAWKING, Stephen. Trous noirs et bébés Univers, 2000.

LUMINET, Jean- Pierre. Les trous noirs, 1987.

SUSSKIND, Leonard. Trous noirs – La guerre des savants, 2010.

Google est aussi votre ami.

Pour les "supermassifs":

HAWKING, Stephen et PENROSE, Roger. La nature de l’espace et du temps, 2003.

PEEBLES, P.J.E. Principles of Physical Cosmology, 1993.

HAARDT, Francesco & al. Astrophysical Black Holes, 2016.

CHOQUET-BRUHA, Yvonne et DAMOUR, Thibault. Introduction to General Relativity, Black Holes and Cosmology, 2015.

 

 

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